Par trois arrêts en date du 29 novembre 2023 (n° 22-12.865, 22-18.295 et 22-21.623) rendus au visa de larticle L 210-6 du code de commerce, la Cour de cassation est venue assouplir sa jurisprudence s’agissant des sociétés en formation et de la reprise des actes passés pendant leur période de formation.

1.- Jusqu’à ces trois arrêts, la Cour de cassation imposait un strict formalisme pour l’application des articles L 210-6 du code de commerce et 1843 du code civil. Durant la période de constitution d’une société et jusqu’à son immatriculation, certains actes doivent parfois être effectués par les associés fondateurs afin d’assurer la mise en route de l’activité sociale. Une fois immatriculée, la société peut reprendre les actes qui ont été effectués par ses associés fondateurs, le deuxième alinéa de l’article L 210-6 du code de commerce disposant ainsi que les « personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société ». Pour ce faire, l’article R 210-6 du code de commerce fixe les modalités pratiques permettant cette reprise, notamment l’obligation de dresser un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, lequel doit être annexé aux statuts et dont la signature emporte reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci a été immatriculée au registre du commerce. On notera qu’une règle identique est posée à larticle 1843 du code civil.

Jusqu’à la publication de ces trois arrêts[1], la Cour de cassation imposait pour que les actes passés durant la période de formation puissent être repris, que soit apposée dans l’acte la mention selon laquelle les engagements étaient expressément souscrits « au nom »[2] ou « pour le compte »[3] de la société en formation.

En cas d’omission d’une telle mention, l’acte ne pouvait être repris[4]. Et la jurisprudence de considérer encore que l’acte qui était conclu en l’absence de la mention « au nom de la société en formation » devait être considéré comme un acte conclu au nom d’une personne juridique qui n’existait pas, et donc frappé de nullité absolue[5]. La théorie de l’apparence ne pouvait elle non plus être présentée comme un argument juridique permettant la reprise des actes.

2.- Les trois arrêts du 29 novembre 2023 opèrent un revirement de jurisprudence en matière de reprise des actes. De façon identique, la Cour de cassation estime dans ces trois arrêts que :

« L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. »

Il incombera donc désormais au juge d’apprécier souverainement par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation. Ce revirement est majeur puisque ces trois arrêts sont publiés au Bulletin et mentionnés au Rapport et dans la Lettre de la Chambre commerciale.

Si, comme le rappelle la Cour, sa jurisprudence rendue jusqu’alors avait pour objet d’assurer la sécurité juridique en protégeant tant le tiers cocontractant que les fondateurs accomplissant l’acte au nom ou pour le compte de la société, elle imposait néanmoins une certaine rigueur et des assouplissements étaient attendus tant par la doctrine que par les praticiens.

Cette interprétation avait été solidement soutenue par l’ANSA et plusieurs praticiens soucieux de simplifier les procédures de création d’entreprises.

3.- Une société en formation au nom de laquelle un acte est conclu doit-elle nécessairement présenter les mêmes caractéristiques une fois qu’elle est immatriculée ? C’est l’une des questions à laquelle devait répondre la chambre commerciale dans l’un des trois arrêts du 29 novembre 2023 (arrêt n° 22-12.865). La Cour de cassation répond par la négative : il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce « que la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l’acte litigieux ».

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[1] Pour une illustration encore récente, v. Com., 10 juin 2020, n°  18-13889

[2] Com., 22 mai 2001, n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158

[3] Com., 11 juin 2013, n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, n° 19-15.618

[4] Cass. com., 23 janv. 2007, n° 05-17715 ; Cass. com., 2 févr. 2010, n° 09-13405

[5] Civ. 3  5 oct. 2011, n° 09-70571 ; Com. 21 févr. 2012, n° 10-27630 ; Com. 19 janv. 2022, n°20-13.719