Par habilitation donnée par l’article 26 de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (dite loi Attractivité), le Gouvernement réforme le régime des nullités en droit français avec l’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 (JO RF, 13 mars 2025, texte 3). Conformément à l’article 70 de cette ordonnance, l’ensemble des dispositions sont applicables à compter du 1er octobre  2025 (sauf l’article 67 de l’ordonnance modifiant l’article L 821-5 du code de commerce applicable au 1er janvier 2027).

Comme l’indique le rapport au Président de la République, cette ordonnance poursuit deux objectifs.

L’ANSA publiera prochainement une étude (réservée aux adhérents).

 

I.- Un objectif de sécurisation

 Introduction du mécanisme de triple test. L’automaticité du prononcé de la nullité est écartée par l’ordonnance au profit d’un nouveau mécanisme appelé le « triple test » (art. L 1844-12-1 nouv. créé par O. n° 2025-229, art. 5). Avant de prononcer la nullité le juge devra procéder (i) au contrôle du grief du demandeur (qui devra établir que l’irrégularité a lésé ses intérêts), (ii) au contrôle de l’influence sur le sens de la décision et (iii) à un contrôle de proportionnalité, qui met en balance les conséquences de l’irrégularité et celles de l’annulation de la décision.

A côté de l’introduction de ce nouveau mécanisme, l’ensemble des causes de nullité a été revu afin d’identifier celles qu’il apparaissait nécessaire de faire échapper au contrôle du juge. Dans ces hypothèses, l’application du dispositif du triple test de l’article 1844-12-1 nouveau est expressément écarté.

Contrôle des effets de la nullité (ou nullités « en cascade »). Faisant suite aux observations des praticiens ayant souligné les risques des nullités « en cascade » pour le fonctionnement régulier des sociétés, l’ordonnance prévoit deux dispositifs :

  • un premier tendant à généraliser des règles spécifiquement élaborées pour les sociétés par actions : les irrégularités de désignation ou de composition d’un organe social n’entraînent pas, par elles-mêmes la nullité des décisions subséquentes (C. civ. art. 1844-15-1 nouv. créé par O. n° 2025-229, art. 8) et ;
  • un second, à portée générale, autorisant le juge à différer dans le temps les effets de la nullité (C. civ. art. 1844-15-2 nouv. créé par O. n° 2025-229, art. 8).

Réduction de délai de prescription. Il est important de relever que le délai de prescription, jusqu’alors de trois ans, est réduit à deux ans par l’ordonnance (C. civ. art. 1844-14 modif. par O. n° 2025-229, art. 6).

Augmentations de capital. L’ordonnance du 12 mars 2025 modifie également le régime des nullités applicable aux augmentations de capital dans les sociétés par actions. Compte tenu de la fongibilité des actions, et, dans les sociétés cotées, de la centralisation des transactions, l’annulation d’une augmentation de capital lorsque les titres sont émis est en pratique impossible à mettre en œuvre, faute de pouvoir identifier avec certitude les titres qui devraient être annulés lorsqu’ils ont circulé.

En conséquence, l’ordonnance du 12 mars 2025 modifie le régime des nullités en la matière :

  • dans les sociétés cotées, l’action en nullité n’est plus possible dès la réalisation de l’augmentation de capital (C. com. art. L 22-10-55-1 nouv. créé par O. n° 2025-229,
    59) 
    ;
  • dans les autres sociétés, l’action en nullité est ouverte pendant un délai de trois mois, ce qui permet notamment de contester les opérations destinées à évincer irrégulièrement un fondateur ou des actionnaires minoritaires (C. com. L 225-149-4 nouv. créé par
    n° 2025-229, art. 37)
    .

 

II.- Un objectif de simplification et de clarification

Fin du double régime général code civil / code de commerce. Jusqu’alors, le régime des nullités reposait sur deux séries de dispositions à vocation générale au sein du code civil (art
1844-10 et s.) et du code de commerce (art. L 235-1 et s.) et certains avaient relevé les redondances et l’insécurité juridique qui en découlait.

Dès lors :

  • les articles 1 à 4 de l’ordonnance du 12 mars 2025 restituent aux articles 1844-10 et suivants du code civil leur fonction de droit commun ;
  • l’article 63 de l’ordonnance abroge les dispositions de portée générale figurant dans le code de commerce.

Les dispositifs spécifiques relatifs aux restructurations et opérations sur capital sont relocalisés dans le code de commerce (O. n° 2025-229, art. 64 à 67 pour les opérations de restructuration ; O. n° 2025-229 art. 36, 37 et 59 pour les opérations sur capital).

Mise en conformité des nullités de sociétés avec le droit de l’Union. Comme certains l’avaient relevé, les textes du droit positif français des nullités de sociétés, issus de la loi du 24 juillet 1966, n’étaient pas pleinement conformes à la directive du 14 juin 2017 qui restreint strictement les cas de nullité pour des raisons de sécurité juridique. La notion de « dispositions impératives », non définie par le législateur français mais uniquement par la jurisprudence était ainsi non conforme au droit de l’Union. Par mesure de simplification l’ordonnance étend le régime à l’ensemble des formes sociales.

L’ordonnance supprime la référence à la notion de dispositions impératives du présent titre (critère de localisation) et lui substitue la notion générale « droit des sociétés » (critère de matérialité) (C. civ. art. 1844-10 al.2 et al. 3 modif. par O. n° 2025-229, art. 1er).

Substitution des termes « d’actes et délibérations » par ceux de « décisions sociales ». Dans un objectif de clarification, aux termes d’ « actes et délibérations » sont substitués les termes de
« décisions sociales », qui sont exclusives des conventions passées avec les tiers, ainsi que des avis, opinions ou recommandations émis par toute instance collective, instituée au sein de la société par la loi, les statuts ou de toute autre manière. Le régime des nullités des décisions sociales s’applique donc exclusivement aux actes décisionnels internes de la société (C. civ. art. 1844-10 al. 3 modif. par O. n° 2025-229, art. 1er). Parce qu’elles relèvent de la même logique, les nullités des assemblées d’obligataires sont soumises, par disposition spéciale, à ce même régime.

Nullité pour violation des statuts. Suite aux évolutions jurisprudentielles récentes, la question de la nullité pour violation des statuts est également clarifiée. L’article 1844-10 tel que modifié par l’article 1er de l’ordonnance pose en son quatrième alinéa un principe général d’exclusion, qui réserve la possibilité de dispositions légales dérogatoires (« Sauf si la loi en dispose autrement, la violation des statuts ne constitue pas une cause de nullité »).

Cas particulier de la SAS. L’ordonnance du 12 mars 2025 introduit un nouvel article L 227-20-1 dans le code de commerce qui déroge au nouvel article 1844-10-2 du code civil (et donc au triple test). Cet article L 227-20-1 permet aux associés de SAS de prévoir au sein des statuts la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils ont établies. Ces nullités sont soumises au régime de la nullité des décisions sociales de droit commun.

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L’ANSA sera très certainement saisie de nombreuses questions pour l’application de ces nouvelles dispositions…!