Suite à l’adoption du Règlement européen (UE) 2022/858 (dit « Régime Pilote ») et conformément à l’habilitation conférée par l’article 7 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 (dite « loi DDADUE 2023 ») autorisant le Gouvernement à adopter des mesures nationales d’adaptation au Régime Pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués (v. brève ANSA du 10 mars 2023, Loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (loi DDADUE) : mesures en droit des sociétés et en droit financier, n° 23-BR05), un décret n° 2023-421 du 31 mai 2023 portant adaptation du droit des titres au règlement européen dit « régime pilote » a été publié au Journal Officiel du 2 juin dernier (JO RF, 2 juin 2023, texte n° 9).

Ce décret est entré en vigueur le 3 juin dernier, soit le lendemain de sa publication.

En substance, ce décret apporte des modifications réglementaires en cohérence avec le règlement (UE) 2022/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués.

I.- Inscription des titres au porteur et  au nominatif  dans un DEEP

Le décret procède à deux modifications concernant l’inscription des titres au porteur (nouveauté) et au nominatif (modifié) dans un DEEP : en pratique et pour mémoire, les premiers sont inscrits dans un DEEP par l’infrastructure de marché DLT tandis que les seconds le sont par la société émettrice.

Possibilité pour les titres au porteur d’être inscrits dans un DEEP et d’être échangés sur une infrastructure DLT (C. mon. fin. art. R 211-2 modif. par D. n° 2023-421, art. 1er, 1°). Jusqu’alors, l’article R 211-2 distinguait d’une part, les titres au nominatif définis selon ce même article par ceux inscrits soit dans un compte-titres tenus par la société soit dans un DEEP et, d’autre part, les titres au porteur définis comme ceux inscrits dans un compte-titres tenu par un intermédiaire financier habilité. En somme, la rédaction de l’article R 211-2 ne permettait donc pas d’inscrire des titres au porteur dans un DEEP et de pouvoir les échanger sur une infrastructure de marché. L’article 1er, 1° du décret modifie l’article R 211-2 selon lequel désormais revêtent la forme au porteur les titres inscrits dans un compte-titres tenu par un intermédiaire financier habilité mais également ceux inscrits dans un DEEP par une infrastructure de marché DLT.

Précisions quant aux modalités de conservation des titres au nominatif inscrits dans un DEEP (C. mon. fin. art. R 211-9-7 modif. par D. n°2023-421, art. 1er, 6°). Contrairement aux titres au porteur, les titres au nominatif pouvaient déjà, avant la publication du décret du 31 mai 2023, être inscrits dans un DEEP. Cela étant, le décret modifie l’article R 211-9-7 qui vise désormais l’article L 211-7 alinéa 2 du code monétaire et financier. Pour mémoire, cet article L 211-7 modifié lors de l’adoption de la loi DDADUE 2023 exige depuis lors que le DEEP respecte certaines garanties (intégrité des données, identification des titulaires, mise en place d’un plan de continuité d’activité…) posées notamment par le règlement européen Régime Pilote.

II.- Administration des titres inscrits dans un DEEP

Tout comme pour l’inscription des titres, le décret procède à deux modifications s’agissant de l’administration des titres au porteur et des titres au nominatif.

Pour les titres au porteur, possibilité de charger un intermédiaire financier de leur administration (C. mon. fin. art. R 211-4 al. 2 nouv. créé par D. n° 2023-421, art. 1er, 3°). Suivant l’une des propositions du rapport du HCJP (HCJP, Rapport sur la réforme des titres financiers numériques, not. p. 12), le décret crée un nouvel alinéa à l’article R 211-4 du code monétaire et financier qui dispose désormais, en son alinéa 2, qu’un propriétaire de titres financiers au porteur inscrits dans un DEEP peut charger un intermédiaire de détenir les moyens d’accès à ses titres, y compris sous la forme de clés cryptographiques privées, et de traiter les événements concernant ces titres, dans les conditions fixées par le règlement général de l’AMF.

 Pour les titres au nominatif, suppression de l’exigence d’un compte d’administration (C. mon. fin. art. R 211-5 modif. par D. n° 2023-421, art. 1er, 4°). Jusqu’alors, l’article R 211-5 imposait en son alinéa 1er que les titres au nominatif soient nécessairement placés dans un compte d’administration avant de pouvoir être négociés sur une plateforme de négociation. Cette exigence qui paraissait selon certains incompatible avec l’infrastructure de marché DLT est supprimée par le décret : l’article R 211-5 alinéa 3 dispose depuis le 3 juin dernier que dès lors qu’ils sont inscrits dans un DEEP, les titres financiers peuvent être négociés sur une plate-forme de négociation sous forme nominative sans nécessairement avoir été préalablement placés en compte d’administration.

III.- Titres inscrits dans un DEEP et exercice des prérogatives attachées à la qualité d’actionnaire

Justification de la qualité d’actionnaire pour la participation aux assemblées (C. com. art. R 22-10-28, I. modif. par D. n° 2023-421, art. 2, 5°). Pour mémoire, l’article R 225-86 alinéa 1er prévoit qu’il est justifié du droit de participer aux assemblées générales par l’inscription des titres au nom de l’actionnaire, au jour de l’assemblée générale, dans les comptes de titres nominatifs tenus par la société ou dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé. Lorsque les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou aux opérations d’un DCT, l’article R 22-10-28 prévoyait jusqu’au 3 juin dernier que par dérogation à l’article R 228-86, il était justifié du droit de participer aux assemblées générales par l’inscription en compte des titres au nom de l’actionnaire ou de l’intermédiaire inscrit pour son compte, au deuxième jour ouvré précédant l’assemblée à zéro heure, heure de Paris, soit dans les comptes de titres nominatifs tenus par la société, soit dans les comptes de titres au porteur tenus par un intermédiaire (mentionné à l’article L 211-3 du code monétaire et financier).

Le décret du 31 mai 2023 modifie cet article R 22-10-28 qui ajoute une troisième possibilité (en plus de celles des comptes titres nominatifs et des comptes de titres au porteur) permettant de justifier de ce droit de participer aux assemblées : tout détenteur peut désormais justifier du droit de participer aux assemblées par l’inscription de ses actions dans un DEEP. En pratique, cette attestation sera délivrée par l’infrastructure de marché DLT.

Justification de la qualité d’obligataire pour la participation aux assemblées (C. com. art. R 228-71 al. 1er modif. par D. n° 2023-421, art. 2, 4°). Une même mesure que celle prévue pour les assemblées générales d’actionnaires (v. supra) est prévue pour les assemblées d’obligataires.

Justification de la qualité d’actionnaire pour les demandes d’envoi de documentation (C. com. art. R 225-88 al. 2 modif. par D. n° 2023-421, art. 2, 3°), de la possibilité de poser une question écrite à la société (C. com. art. R 225-84 al. 2 modif. par D. n° 2023-421, art. 2, 2°) et de la possibilité d’inscrire un point ou un projet de résolution à l’ordre du jour (C. com. art. R 225-71 modif. par D. n° 2023-421, art. 2, 1°). A l’instar de la mesure prise concernant la participation des actionnaires, le décret du 31 mai 2023 prévoit également la faculté pour les actionnaires de justifier de leur qualité par la fourniture d’une attestation d’inscription dans un DEEP pour toute demande d’envoi de la documentation préalable à la tenue d’une assemblée générale, pour poser une question écrite à la société ou pour demander l’inscription d’un point ou d’un projet de résolution à l’ordre du jour.

  • Remarque : Certains auteurs (v. notamment BRDA 13/23, p. 25 et 26) ont d’ores et déjà souligné que certaines dispositions réglementaires régissant les prérogatives actionnariales n’ont pas été modifiées par le décret. Il en est notamment ainsi de la possibilité de voter par correspondance (art. R 225-77) et de la possibilité de s’opposer à la tenue d’une AGE entièrement dématérialisée (art. L 225-103-1, L 22-10-38 ; art. R 225-61-2 et R 225-61-3). Pour ces auteurs, mêmes si ces dispositions ont été omises par les auteurs du décret, il semblerait possible de justifier de sa qualité d’actionnaire par la fourniture d’une attestation d’inscription dans un DEEP.