L’article L 233-3, I., 3° du code de commerce ne reconnait de contrôle de fait qu’au regard des votes exprimés en assemblée générale ; il ne tient compte d’aucun autre critère. Doit être cassé l’arrêt d’appel qui considère qu’un actionnaire exerce un contrôle de fait sur une société, en raison d’autres critères, tels que sa qualité de principal actionnaire, sa position stratégique, la dispersion des titres dans le public ou son autorité particulière.

Ce vendredi 28 novembre 2025, la Cour de cassation a publié deux arrêts (n° 25-14.467 et n° 25-14.362) concernant l’appréciation de la notion de contrôle de fait. La solution rendue à bref délai est d’une particulière importance pour la régulation des marchés et est destinée à être publiée au Bulletin.

Quatre moyens sont présentés à la Cour de cassation par la société Vivendi : (i) recevabilité du recours, (ii) motivation de la décision de l’AMF, (iii) effet dévolutif de l’appel et (iv) contrôle de Vivendi par Bolloré.

Seul le 4ème moyen sera commenté dans la présente note.

Le contrôle de fait n’a jamais été défini précisément par la jurisprudence. En 1998, dans l’affaire Havas-CGE (arrêt du 20 février 1998 n°97/24069), la Cour d’appel de Paris avait estimé qu’avec 46,4% des droits de vote exerçables en AG, la CGE ne disposait pas d’une majorité (simple ou qualifiée) et que les décisions prises auraient pu être adoptées sans les voix de la CGE, compte tenu de la faiblesse des abstentions et oppositions. En conséquence, la CGE ne pouvait être considérée comme ayant le contrôle.

Au cas présent, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris pour retenir une conception stricte et spécifique du contrôle de fait.

1.- Les faits. En 2024, Vivendi a annoncé un projet de scission de trois de ses activités, qui devaient chacune être exploitée par une société indépendante et cotée en bourse (respectivement sur le London Stock Exchange, sur Euronext Amsterdam et sur Euronext Growth à Paris). Dans le cadre de ce projet de scission, un actionnaire minoritaire, le fonds CIAM, a soutenu que la société Bolloré contrôlait l’émetteur au regard de l’article L 233-3 du code de commerce.

Pour le fonds minoritaire, une OPR aurait dû être déclenchée conformément à l’article 236-6 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui dispose que la ou les personnes physiques ou morales qui contrôlent une société au sens de l’article L 233-3 du code de commerce informent l’AMF : « […] 2° Lorsqu’elles décident le principe de la fusion de cette société avec la société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée par celle-ci, de la cession ou de l’apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de l’activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération de titres de capital. ». L’AMF doit alors apprécier les conséquences de l’opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou de droits de vote et décide s’il y a lieu à mise en œuvre d’une offre publique de retrait.

Le fonds minoritaire a sollicité l’avis de l’AMF par courrier du 28 octobre 2024, sur la nécessité d’une OPRO pour protéger les droits des actionnaires découlant de cette scission. Dans une décision du 13 novembre 2024, l’AMF a rejeté sa demande en rejetant la qualification de contrôle entre Bolloré SE et Vivendi SE, sans pour autant motiver sa décision. Dès lors, l’article 236-6 RG AMF ne s’appliquait pas au projet de scission. Le 22 novembre 2024, CIAM a formé un recours en annulation de cette décision devant la cour d’appel de Paris, alors que le projet de scission allait être approuvé en assemblée générale extraordinaire le 9 décembre 2024 à 97,5%. L’AMF avait également accordé à Hachette une dérogation à l’obligation de lancer une OPA sur les titres Lagardère.

Dans un arrêt rendu le 22 avril 2025 (RG n° 24/19036), la cour d’appel de Paris a annulé la décision de l’AMF. Les juges du fond ont caractérisé un contrôle de fait et ont enjoint à l’AMF de tirer les conséquences de ce constat au regard de l’article 236-6 de son règlement général. L’émetteur procédant à la scission de ses activités a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Dans une décision en date du 18 juillet 2025, l’AMF a décidé en conséquence que la société actionnaire et son actionnaire majoritaire (personne physique) qui contrôlent l’émetteur étaient tenus de déposer, dans un délai de six mois, un projet d’OPR, en application de l’article 236-6 de son règlement général ainsi que de l’article L 433-3, I. du code monétaire et financier en indiquant que la clôture de l’offre n’interviendrait qu’après la décision de la Cour de cassation.

2.- L’article L 233-3 du code de commerce. La notion de contrôle exclusif de l’article L 233-3, I et II par une personne physique ou morale est définie comme suit :

  • le contrôle de droit résulte de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote en assemblée générale du fait d’une détention majoritaire du capital ou en vertu d’un pacte d’actionnaires (1° et 2°) : on parle ici d’une majorité absolue ;
  • le contrôle de fait résulte de la détention de droits de vote exerçables en assemblée générale permettant de décider du sort des résolutions ou du pouvoir de nommer ou révoquer les dirigeants (3°et 4°) : on parle ici d’une majorité relative ;
  • une présomption de contrôle existe à partir d’une détention de 40% des droits de vote théoriques (calculée sur la totalité des droits de vote existants et non sur les droits de vote exerçables).

3.- En application de cet article, le contrôle de fait pouvait-il s’apprécier au regard d’autres critères que les votes exprimés en assemblée générale ? (Non) (n° 25-14.362, pts. 32 et s.). Il était en effet avancé dans l’arrêt attaqué que pour savoir si une personne peut être considérée  comme contrôlant de fait  une autre entité, il était pris en compte non seulement  les droits de vote exercés en assemblée mais également un ensemble de circonstances, telles que, notamment, la qualité de principal actionnaire de celui dont le contrôle est allégué, son éventuelle position stratégique au sein de l’assemblée générale, la notoriété dont il est susceptible de bénéficier et l’éventuelle dispersion des titres dans le public.

Autrement dit, la question posée à la chambre commerciale était de savoir si le contrôle de fait exercé par une personne physique ou morale sur une société s’apprécie uniquement sur la base des droits de vote dont elle dispose en assemblée générale ou s’il faut tenir compte d’autres critères.

Pour la Cour de cassation, il résulte de ce texte, « dont le seul libellé permet, sur ce point, de lui donner un sens certain », qu’une personne physique ou morale ne détermine en fait les décisions dans les assemblées générales d’une société que par les seuls droits de vote dont elle dispose, lorsque leur nombre lui permet d’imposer sa volonté lors des assemblées générales. Il n’est donc pas possible de s’appuyer sur d’autres critères que ceux énumérés par la loi (méthode du faisceau d’indices).

Ainsi, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, dans une perspective de sécurité juridique.

4.- Le contrôle de fait s’apprécie-t-il au regard d’une seule disposition directe des droits de vote ou d’une disposition directe ou indirecte ? (n° 25-14.467, pts 23 et s.).  L’article L 233-3, I., 3° dispose uniquement que toute personne physique ou morale est considérée comme en contrôlant une autre « Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ». Une jurisprudence constante retient que lorsque la loi ne précise pas, seule la détention directe est retenue.

Pour y répondre, la chambre commerciale reprend les travaux parlementaires de la loi du
12 juillet 1985 ayant conduit à l’insertion dudit article[1].

Ainsi, pour la Cour de cassation, le contrôle de fait, qui ne s’apprécie qu’au regard des droits de vote exerçables en assemblée peut être caractérisé dans deux hypothèses et pendant une durée significative (§ 34) :

  • une personne physique ou morale, soit détient, directement ou indirectement, plus de la moitié des droits de vote exercés par les actionnaires présents ou représentés ou votant à distance dans les assemblées générale ;
  • soit, bien que ne détenant pas directement ou indirectement plus de la moitié des droits de vote exercés dans les assemblées générales par les actionnaires présents ou représentés ou votant à distance, cette personne physique ou morale détermine, par le seul exercice des droits de vote dont elle dispose directement ou indirectement, le sens du vote dans les assemblées générales

Cette deuxième hypothèse ouvre la voie de la majorité relative.

5.- Le contrôle de fait s’apprécie-t-il au regard d’une éventuelle action de concert ? (Non). La Cour d’appel (§185) avait considéré qu’il convenait en application de la présomption de concert de l’article L 233-10 d’ajouter les actions détenues par certains membres de la famille de l’actionnaire principal. Or le contrôle de fait est bien un contrôle exercé par une personne, un contrôle exclusif, la prise en compte des actions détenues par des personnes agissant de concert aboutissant à un contrôle conjoint, défini au III de l’article L 233-3 ; la Cour d’appel l’avait ainsi jugé dans l’arrêt Havas-CGE (le contrôle défini par l’article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 est exclusif de la notion de concert).

 6.- Conclusion.  La Cour de cassation a écarté les moyens qu’elle considérait inopérants de la Cour d’appel pour ne retenir qu’un seul critère, celui énoncé strictement par la loi, à savoir les droits de vote exerçables en assemblée générale ; il s’agit de dispositions d’ordre public préservant la sécurité juridique.

Mais, comme l’a relevé à juste titre la cour d’appel, l’article L 233-3, I, 3° ne se réfère à aucune majorité en droits de vote, ni à aucun seuil, ni à aucune durée.

Jusqu’à l’arrêt du 28 novembre 2025 de la Cour de cassation, le contrôle de fait ne pouvait résulter que de la détention de la majorité absolue des droits de vote.

Il reviendra à la Cour d’appel de préciser la notion de majorité relative et d’y ajouter, le cas échéant, une notion de durée, reprenant ainsi le critère ajouté par la Cour de cassation. A noter que ce critère avait été retenu dans l’affaire Havas-CGE par la cour d’appel : « le contrôle de fait visé au 3ème alinéa du même texte [art L 233-3, I] est un contrôle d’habitude ».

L’AMF devra statuer une 3ème fois sur la nécessité de lancer une OPR.

Par conséquent, la question de l’indemnisation des actionnaires va se poser vraisemblablement désormais de façon inédite.

 

[1 24. Ce texte peut recevoir deux interprétations différentes selon que l’on considère que les droits de vote dont la personne concernée dispose sont ceux dont elle dispose directement ou ceux dont elle dispose directement ou indirectement.
25. Dès lors que le simple libellé du texte ne permet pas, sur ce point, de lui donner un sens certain, il convient de rechercher l’intention du législateur.
26. Or, il résulte des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n° 85-705 du 12 juillet 1985, dont sont issues les dispositions reprises à l’article L. 233-3, I, 3°, du code de commerce, qu’une personne physique ou morale dispose des droits de vote au sens et pour l’application de ce texte dès lors qu’elle les détient directement ou indirectement.
27. Le Garde des sceaux, ministre de la justice, indiquait ainsi, lors de la 2ème séance du 27 juin 1985 à l’Assemblée nationale : « La notion de contrôle de fait est retenue à côté de celle de contrôle de droit. Mais la formulation doit être comprise dans le sens que par les droits de vote dont la société “dispose”, on doit comprendre ceux qu’elle détient aussi bien directement qu’indirectement ou par d’autres sociétés qu’elle contrôle.