Le détenteur d’American Depositary Receipts (ADR), qui n’a souscrit qu’à ces seuls titres de créances émis par le dépositaire, n’est juridiquement titulaire de droits qu’à l’encontre de ce dernier. Il s’ensuit qu’un détenteur d’ADR ne peut revendiquer la qualité d’actionnaire pour exercer le droit préférentiel de souscription attaché aux actions représentées par ses ADR aussi longtemps qu’il n’a pas acquis la propriété de ces actions.
La Cour de cassation vient de publier un arrêt en date du 26 novembre 2025 (n° 24-15.626) destiné à être publié au Bulletin. L’arrêt est intéressant en ce qu’il fixe les limites des droits dont peuvent se prévaloir les porteurs d’American Depositary Receipts (ADR) et illustre les différentes conceptions de la notion d’ « actionnaire » (Nominee vs. Beneficial Owner).
1.- Les faits.- Dans cette espèce, un émetteur français dont les titres étaient cotés sur Euronext Paris avait conclu un contrat de dépôt avec une banque dépositaire américaine, en exécution duquel celle-ci, en contrepartie du dépôt d’actions de l’émetteur dans une banque française, avait émis des ADR, librement négociables sur le New-York Stock Exchange (NYSE). Une société avait acquis des ADR ainsi émis par la banque américaine. Par la suite, l’émetteur français avait procédé à une opération d’augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription (DPS) sur le marché d’Euronext Paris.
La société détentrice d’ADR avait sollicité des informations sur l’exercice du DPS et l’établissement financier chef de file des banques garantes de l’augmentation de capital l’avait alors informée que les détenteurs d’ADR ne pouvaient se voir attribuer de DPS au titre des augmentations de capital décidées par l’émetteur français.
Dans un arrêt du 12 mars 2024 (RG n° 20/06600), la Cour d’appel de Paris avait rejeté l’une des demandes de la société détentrice d’ADR qui souhaitait pouvoir exercer ses DPS. Pour ce faire, les juges du fond indiquaient notamment que de manière générale, la loi française ne reconnaissait pas la qualité d’actionnaire aux porteurs d’ADR, qui constituait un titre financier, distinct de son actif sous-jacent, et que l’actionnaire était la banque dépositaire. La qualité d’actionnaire, pour l’attribution du DPS, devait être reconnue à la personne qui, en vertu du contenu des accords et notamment des clauses du contrat liant l’émetteur et le dépositaire des actions, détenait les attributs et les prérogatives d’un actionnaire en droit français.
2.- Les détenteurs d’ADR peuvent-ils se prévaloir de DPS attachés aux actions représentées par ces derniers ? (Non.).- Pour mémoire, les ADR sont des certificats de dépôt, émis par des banques américaines, représentatifs d’actions d’une société étrangère et qui sont immobilisés chez la banque dépositaire. Leur création facilite la cotation sur les marchés américains d’une société française. Ce ne sont pas (en général) les porteurs d’ADR qui sont d’actionnaires auprès des sociétés émettrices françaises, mais bien les seules banques dépositaires, qui sont inscrites au compte d’actionnaires[1].
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si lors d’une augmentation de capital avec maintien du DPS, les porteurs d’ADR auraient dû bénéficier de l’exercice de ces DPS et pouvoir souscrire des actions en conséquence.
La chambre commerciale répond par la négative dans cet arrêt du 26 novembre 2025 : le détenteur d’ADR, qui n’a souscrit qu’à des ADR, est réputé détenir uniquement des titres de créances émis par le dépositaire et n’est juridiquement titulaire de droits qu’à l’encontre de ce dernier.
3.- Motivation.- Plusieurs visas permettent à la chambre commerciale de motiver ici sa décision :
- des articles 1837 du code civil et L 210-3 du code de commerce : la loi nationale de la société détermine, quel que soit le pays où les titres sont détenus, les conditions dans lesquelles s’acquiert, se conserve et se perd la qualité d’actionnaire de cette société ;
- de l’article L 228-1 : a la qualité d’actionnaire d’une société le propriétaire d’une action émise par cette société ;
- de l’article L 225-132 : les actionnaires des sociétés par actions ont, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de préférence à la souscription des actions de numéraire émises pour réaliser une augmentation de capital. Il résulte de ce texte que le droit préférentiel de souscription appartient aux actionnaires de la société qui procède à l’augmentation de capital.
Dès lors, ce détenteur d’ADR ne peut revendiquer la qualité d’actionnaire pour exercer le DPS attaché aux actions représentées par ses ADR aussi longtemps qu’il n’a pas acquis la propriété de ces actions.
La question de la représentativité de la banque dépositaire est d’une autre nature. Et même si l’on a pu considérer dans certains cas qu’elle pouvait être réputée être le mandataire des porteurs d’ADR, cette analyse ne confère nullement la qualité d’actionnaires aux porteurs d’ADR
(CJ ANSA du 7 avril 2021, ADR : Une banque dépositaire peut-elle être nommée scrutateur ?, n° 21-014, disponible sur Ansanet).
[1] Pour une étude, v. ANSA, L’identification des actionnaires des sociétés cotées, 1997, p. 39, par Jean-Paul Valuet mais aussi Etude de la COB sur les ADR : Bull. COB, n° 271, juillet-août 1993






